Fédérica de Ruvo

Exposition des céramiques de Fédérica de Ruvo et démonstration de modelage le mardi 22 octobre 2024 dans mon atelier d'Aubinges

 

FEDERICA DE RUVO ET SES NARRATIONS PICTURALES ET SCULPTURALES

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          Après des études artistiques en Italie son pays d'origine, Federica de Ruvo a peaufiné dans des écoles françaises son savoir-faire et son originalité. Un parcours de possibilités qui l'ont amenée à se passionner d'abord pour la photographie, puis la sculpture et s'attacher définitivement au dessin et la peinture. Figuratifs exclusivement. Comme en un besoin de traduire ses angoisses, ses désirs et ses déceptions, tout ce qui lui permettait de mettre en scène ses émotions les plus fortes et les plus variées. Subséquemment, créations narratives, exprimées tantôt sous forme de peintures, tantôt de sculptures. 

  

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      Narratives : pourquoi alors s'étonner de son engouement pour les poteries d'argile des femmes sud-américaines, finement modelées, au visage bien ciselé avec des yeux vivants et des couleurs attractives, racontant leur quotidien ? Toutes caractéristiques qui se retrouvent diversement dans le "dit" de ses œuvres.

          En effet, cette influence se retrouve, évidente, dans ses peintures, construites sur un unique modèle : Le fond, par lequel elle commence apparemment et pour lequel le visiteur l'imagine le nez collé sur sa toile, passant un long moment à l'orner : le piqueter d’infimes pointillés, l’agrémenter de myriades de formes aléatoires minuscules, le guillocher de mille petites lignes brisées ou onduleuses, l’incruster, le carreler... la moitié supérieure conçue d'une même unité, la moitié du bas longuement brodée, le tout dans des rouges assombris, des jaunes pâlis, des bleus ombrés. Quelques déviations perdues dans les intrications des fonds assurent des contrastes, instaurent des équilibres, introduisent la psychologie, engendrent la “vie” des personnages de Federica de Ruvo… 

          Car voici le 'lieu" prêt à accueillir la femme, toujours construite sur le même modèle : une taille de guêpe supporte la jupe en éventail brodée de fines bandes répétitives. Le cou est enfoui dans une sorte de foulard monochrome à six branches symétriques raides, qui fait étrangement penser à un crabe aux pattes écartées ! Puis la tête, aux lourdes chevelures coiffées en chignons ou disparaissant sous des sortes de turbans brodés. Et le regard s'attarde alors sur le visage, sur les bouches en train de chanter ? crier ? Sûrement pas chanter, à en juger par les yeux féroces, en colère, dardés vers le visiteur en off, comme si celui-ci était un intrus. Dans la foulée, il est à noter qu'aucune de ces femmes n'a de jambes ni de bras ! Pourquoi l'artiste les prive-t-elle ainsi de membres ? Est-ce pour les empêcher d'aller "ailleurs" ? Afin d'exprimer l'impossibilité de chacune à serrer quelqu'un sur son cœur ? La plupart ne possèdent aucun bijou ; rien qui suggérerait une soif de vivre, une légèreté, un soupçon de frivolité : elles sont obstinément crispées "sur" leur attitude solidaire, leur résistance à l'inconnu qui leur fait face… générant ainsi un monde sans joie, un peu angoissant par sa répétitivité.  

          D'autant que pour bien confirmer l'idée d'enfermement, Federica de Ruvo entoure chaque "portrait" d'un cadre peint, qui enferme complètement la scène, créant un tableau dans le tableau, accentuant l'idée de claustration ! Et, pour faire bonne mesure, s'affirmer pleinement par rapport à ses créatures "empêchées", elle ajoute en gros caractères au bas des jupes, son nom complet, tolérant parfois un prénom pour la femme, mais plus petit, un peu de travers, comme si elle n'avait pas assez de place pour l'écrire avec son propre nom !

          Comment alors relier aux peintures les sculptures de cette artiste ; ces dernières donnant au premier regard, le sentiment de n'être que décoratives, recherche de pure esthétique ? Ces œuvres, petites en général, apparaissent comme des broderies de terre, couvertes de fleurs, coquillages, etc. Mais très vite, le visiteur s'aperçoit qu'entre ces éléments ornementaux "vivent" des personnages : petits démons chevauchant les embouchures d'un vase ; sorte de Bacchus chevelu, bras repliés, étalant ses seins proéminents sur le rebondi d'une amphore ; danseuse indienne tendant à l'avant ses mains chargées de bijoux ; minuscules gnomes dardant leurs yeux étonnés ; lignes concentriques … Tout cela s'effleurant, se recouvrant, se chevauchant, sans que s'affirme le plus petit espace libre. Au point que naît progressivement, une sensation d'étouffement ! L'impression que Federica de Ruvo, comme la nature, a horreur du vide et emploie son talent et son imaginaire à trouver les motifs qui lui permettent de le combler !

    Ainsi, peintures ou sculptures, cette artiste est l'auteure d'une création protéiforme, marquée par une recherche de lien entre l'art et la vie. Ce visiteur s'interroge alors : une telle création est-elle un plaisir pour son auteure ? Est-elle une souffrance ? Toutes ces cohabitations d'éléments répétitifs ne la troublent-elles pas ? Et si, malgré tout elle persiste et semble heureuse, n'est-ce pas parce que c'est sa façon bien à elle d'évacuer son mal-être ? Cette infinie patience dont elle fait preuve n'est-elle pas le moyen qu'elle a trouvé pour conjurer ses angoisses ? S'agit-il d'une histoire sans fin, dans laquelle elle serait condamnée à combler encore et encore l'espace de départ ? Autant d'interrogations sans réponse définitive ! Au fond, qu'importe : Federica de Ruvo est une artiste de grand talent et regarder son œuvre –sans savoir comment se termine "sa" guerre contre son malaise existentiel-, est, paradoxalement vu la gravité de son propos, un plaisir pour les yeux et pour le cœur !

Jeanine RIVAIS

Texte écrit suite au festival 2022 LES INOUÏS CURIEUX de Chaumont.  

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